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Rémunération des artistes issue du streaming : des auditions déterminantes devant le parlement britannique

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   Le système de rémunération du streaming fait actuellement l’objet d’une étude sans précédent outre-Atlantique.  À la suite de la campagne « Broken Record » menée l’année dernière au Royaume-Uni pour dénoncer les revenus dérisoires des artistes tirés du streaming, les parlementaires britanniques se sont récemment emparés de cette question afin d’examiner l’impact économique du streaming sur les artistes, les producteurs et, plus largement, sur la viabilité actuelle de l’industrie musicale.

   Après avoir entendu des représentants d’artistes fin 2020, les parlementaires britanniques ont successivement auditionné ces dernières semaines les trois « majors » (Sony, Universal, Warner), puis des labels indépendants, et enfin les plateformes YouTube et Soundcloud. Selon plusieurs observateurs, les parlementaires britanniques avaient, avec le témoignage de ces acteurs clés, une chance unique de réfléchir à un système plus équitable du streaming. Les points abordés durant ces auditions et, nous l’espérons, les décisions qui en découleront, nourriront sans aucun doute les réflexions en cours au niveau canadien.

Qu’est-ce qui est donc ressorti de ces auditions?

VOICI UN RÉCAPITULATIF DES POINTS ÉVOQUÉS : 

1- La question du système de répartition des revenus issus du streaming

     La première question évoquée est celle de la rémunération des artistes : est-ce que les revenus issus du streaming doivent passer par l’intermédiaire des Majors et autres producteurs phonographiques, comme c’est souvent le cas actuellement, et être distribués selon les termes des accords qu’ils ont négociés ? Ou bien, est-ce que ces revenus pourraient être gérés par les sociétés de gestion collective selon un modèle légal de « rémunération équitable », au même titre que les revenus issus de la radio, par exemple, et être ainsi distribués à 50/50 entre artistes et producteurs ?

   Selon les Majors, qui ont défendu sans surprise le modèle actuel de rémunération, l’enjeu principal est lié au fait qu’ils veulent pouvoir négocier eux-mêmes avec les plateformes de streaming.[1] Cette position a été également partagée par les labels indépendants lors de leurs auditions.[2] En effet, les labels ne souhaitent pas laisser aux sociétés de gestion collective le pouvoir de négocier des autorisations à leur place, pour permettre l’utilisation de la musique de leurs artistes. Mais pourquoi les sociétés de gestion collective, habituées à négocier de telles licences, ne seraient-elles pas en mesure de négocier les meilleures conditions de rémunération pour leurs artistes ? Une rémunération gérée collectivement, et non plus selon les termes individuels des contrats de chaque artiste, pourrait aussi amener des conditions de rémunération plus équitables, voire une plus grande transparence. L’option d’un régime de « rémunération équitable » pour le streaming semble désormais être sur la table des parlementaires britanniques comme une solution à envisager pour améliorer les revenus du streaming, et nous suivrons leurs conclusions avec attention.

2- La situation dominante des Majors sur le marché de la musique

     Les parlementaires britanniques ont également interrogé les patrons des Majors sur la position dominante dans le marché de la musique qu’ils occuperaient depuis de nombreuses années déjà. À cette question, les Majors ont répondu que les artistes avaient aujourd’hui diverses possibilités d’exploiter leur musique : ils peuvent, certes, signer avec un Major, mais aussi avec une multitude de producteurs indépendants. De plus, ils peuvent décider d’exploiter eux-mêmes leurs enregistrements sonores en passant directement par un distributeur et ainsi bénéficier d’une part plus importante de revenus.

3- Le partage de la tarte du streaming et la question du modèle « User centric »

     S’il y a une expression que l’on a beaucoup lue en 2020 à propos du streaming, c’est celle de « user centric ». De quoi s’agit-il ? C’est une méthode alternative de partage des revenus issus des plateformes de streaming, basée non plus sur l’ensemble du nombre d’écoutes au niveau global, mais sur les artistes écoutés chaque mois par un auditeur. Aujourd’hui, l’ensemble des revenus d’abonnements payés par les auditeurs aux plateformes de streaming est réuni au sein d’un seul et unique pot, pour être ensuite divisé entre les artistes (et autres titulaires de droits associés) selon leur nombre total d’écoutes mensuelles sur la plateforme. Le système « user centric » permettrait, lui, que le montant versé par un auditeur pour son abonnement (soit le 9,99$ habituel) soit réparti uniquement entre les artistes écoutés mensuellement par cet auditeur. L’auditeur rémunérerait donc plus directement les artistes qu’il écoute.

   Si cette nouvelle forme de rétribution paraît alléchante, elle semble difficile à mettre en œuvre en pratique et plusieurs études semblent démontrer que l’impact de ce modèle ne suffirait pas à régler les inégalités de revenus du streaming.[3] S’il ne fait aucun doute que cela pourrait contribuer à un système philosophiquement plus « juste » de rémunération, il n’est pas garanti qu’il s’agisse concrètement de la solution miracle pour mieux rémunérer les artistes, notamment indépendants.

4- Les contrats conclus entre artistes et Majors

    Les contrats conclus entre artistes et Majors font souvent l’objet, à tort ou à raison, de nombreuses critiques : faible rémunération des artistes ou absence de transparence de l’industrie. Les auditions des patrons des Majors ne nous ont pas appris grand-chose sur ce point, si ce n’est que la répartition usuelle de la rémunération est le plus souvent de 80/20 entre labels et artistes, et parfois de 50/50. Une moyenne de rémunération du streaming a toutefois été évoquée : un million de streams rapporterait ainsi environ 5000 pounds aux Majors, ce qui reviendrait à verser 1000 pounds – soit plus de 1700 CAD – dans les poches de l’artiste (avec une répartition de 80/20%).[4]

5- La responsabilité des plateformes et la question du « Value gap »

     Au cours de l’audition, les Majors ont fini par renvoyer la balle vers les plateformes de diffusion, au premier rang desquels figure YouTube, qui bénéficierait, selon eux, d’un régime juridique d’exemption désuet (le «DMCA’s safe harbor » aux États-Unis ou le statut d’hébergeur de contenus en Europe) et qui ne rémunérerait pas assez les artistes et producteurs par rapport aux nombres de diffusions sur leurs plateformes. En effet, comment justifier la disparité entre les revenus toujours plus importants de ces plateformes bénéficiant de l’exploitation de la musique en ligne, et la situation toujours plus précaire de ceux qui créent et interprètent cette musique ? C’est la question du partage de valeur, ou « value gap », qui semble être non pas le nœud du problème mais bien un enjeu supplémentaire s’ajoutant à ceux évoqués ci-dessus.

   Cette dernière intervention montre bien que la multiplication des intervenants tout au long de la chaine de rémunération du streaming permet aux différents acteurs de se renvoyer mutuellement la responsabilité des iniquités et du manque de transparence en lien avec cette source de revenus. Cela montre aussi que le rôle des parlementaires et leur pouvoir d’initier une réforme légale, que ce soit pour instaurer un système de rémunération équitable ou pour réformer les exemptions de responsabilité des plateformes, sont aujourd’hui cruciaux pour enfin permettre aux artistes d’être rémunérés d’une manière juste et transparente pour l’utilisation de leur musique. Reste aux parlementaires britanniques de se saisir de cette opportunité unique qui est aujourd’hui à leur portée.