Les créateurs dédaignés
Alors que plusieurs voix se lèvent pour parler de ce qui se trame depuis déjà longtemps à Ottawa en matière de droits d’auteur, nous croyons bon de joindre la nôtre afin de rappeler certains faits.
Depuis plusieurs années, nous sommes respectivement président de l’Union des artistes (UDA) et présidente d’une société de gestion collective appelée ARTISTI qui perçoit et distribue des redevances dues aux artistes interprètes du secteur de la musique pour certaines utilisations de leur travail. ARTISTI a été créée en 1997 et depuis ce jour, elle a distribué à ses adhérents près de 16 millions de dollars dont la moitié consistait en des redevances pour la copie privée.
Il faut rappeler ici que la redevance pour la copie privée a été incorporée dans la loi en 1997, en même temps qu’on octroyait certains autres droits, notamment aux artistes interprètes. Nous nous le rappelons bien puisque l’UDA était de cette croisade qui a finalement résulté en des droits qui allaient permettre aux artistes de recevoir leur dû pour des utilisations courantes de leur travail.
Les redevances de la copie privée proviennent de la perception d’une redevance prélevée sur la vente des supports audio vierges tels que les CDs vierges. et ne s’étend pas, à l’heure actuelle, aux supports audio numériques tels que les lecteurs MP3 ou iPods. Or, comme les gens copient désormais davantage sur ces appareils que sur les CDs vierges, la redevance s’étiole de jours en jours et est appelée à disparaître. C’est d’ailleurs pour demander au législateur de rendre la loi technologiquement neutre en étendant la redevance pour la copie privée aux lecteurs MP3 et aux iPods que la soussignée s’est impliquée auprès de la Société Canadienne de perception de la copie privée et qu’elle est à nouveau allée rencontrer les représentants gouvernementaux pour leur faire valoir le bien fondé de cette rémunération qui devait continuer à exister pour compenser les créateurs pour les copies de leur musique.
Mais le processus de réforme du droit d’auteur était en branle avec, à sa tête, un gouvernement qui n’entend pas les revendications des principaux acteurs de la création, un gouvernement sourd aux demandes des créateurs.
Et ce n’est pas parce que nous ne nous sommes pas manifestés tout au long de ce processus de réforme mené par les Conservateurs. En effet, le milieu culturel était présent au rendez-vous lors de la vaste consultation sur la réforme du droit d’auteur menée par le gouvernement conservateur à l’été 2009 et il s’est insurgé contre les projets de loi C-61 déposé en 2008, C-32 déposé en 2010 et C-11 déposé en 2011. Plus d’une centaine d’artistes, de créateurs de toutes générations confondues sont montés à bord de l’autobus du show-business en novembre 2010 – du jamais vu à Ottawa – pour manifester leur mécontentement envers une réforme qui ne prenait pas leurs intérêts en considération. Après quoi, nous avons signé des pétitions, envoyé des lettres aux députés et tout récemment encore, nous avons fait parvenir des lettres aux membres du comité législatif chargé d’étudier ce projet de loi C-11 si décrié.
Malheureusement, tout ce que nous renvoie l’écho est le son de nos revendications qui restent lettre morte…
Il semble acquis que la réforme de la Loi sur le droit d’auteur aura ignoré le sujet principal de cette loi : le créateur. Le résultat sera, pour les artistes interprètes qu’ARTISTI représente, un manque à gagner de la moitié des redevances que leur société de gestion collective leur faisait jadis parvenir. Pendant ce temps, à Ottawa, l’on continuera à se féliciter de l’excellence des créations québécoises qui assurent le rayonnement de notre belle culture mais… jusqu’à quand ? Créer nécessite des ressources, faut-il le rappeler ?
Raymond Legault, acteur, président de l’Union des artistes et vice-président d’Artisti
Marie Denise Pelletier, auteure, compositrice, interprète et présidente d’Artisti.