La diminution actuelle des revenus liés aux droits d’auteur… Comment y faire face?
À l’occasion du Forum sur la chanson québécoise qui a eu lieu les 4 et 5 février dernier, à Montréal, j’ai eu le privilège d’être invitée à participer, comme conférencière, à un atelier intitulé Les mécanismes de financement et l’organisation du milieu de la chanson. Y étant conviée à titre de présidente d’Artisti, je me suis donc penchée plus précisément sur la question de la diminution actuelle des revenus liés aux droits d’auteur et des effets multiples qu’elle entraîne, le but ultime de cet exercice étant de pouvoir proposer des pistes de solution pour pallier cette diminution.
Nombre d’entre nous peuvent se remémorer le temps où les droits d’auteur n’étaient pas reconnus aux artistes interprètes. Aussi, 1997 fut-elle une année charnière pour nous tous lorsque, enfin, le droit à la rémunération équitable et le droit à la rémunération pour la copie privée étaient reconnus. Cette initiative du gouvernement libéral tombait à point pour plusieurs d’entre nous, car ces sommes constituaient de l’argent frais dans notre quotidien et nous permettaient de continuer à nous consacrer à notre art plutôt que d’avoir à chercher des petits boulots alimentaires.
C’était à l’époque où le gouvernement en place avait à coeur que les artistes perçoivent une juste rémunération pour l’utilisation de leur travail. Les choses ont bien changé depuis…
En effet, le droit d’auteur est la responsabilité des gouvernements et les créateurs sont tributaires du bon vouloir de ceux et celles qui se trouvent au pouvoir. S’ils introduisent de nouveaux droits, ceux-ci devraient normalement avoir des retombées économiques positives pour les créateurs. S’ils introduisent toutefois des exceptions au droit d’auteur – comme ce fut le cas avec le projet de loi C-11 en vigueur depuis le 7 novembre dernier –, cela a pour effet de couper dans les revenus des créateurs.
Rappelons que, à chaque perte de droit, ce sont les créateurs qui s’appauvrissent. D’ordinaire, quand une industrie s’appauvrit, il y a des programmes d’aide mis en place qui viennent pallier l’appauvrissement. Mais ce
n’est pas les cas lorsque ce sont des individus comme les artistes interprètes qui s’appauvrissent : pour eux, aucun programme d’aide n’est prévu.
Lors de mon allocution, j’ai rappelé que la disparition imminente du droit à rémunération pour la copie privée constituait une perte sèche. En effet, tel que je l’ai déjà expliqué, la réforme de la Loi sur le droit d’auteur n’a pas permis que nous puissions percevoir des redevances sur les nouveaux appareils qui servent à copier notre musique. De plus, alors qu’un tarif pour la perception de redevances sur les cartes Micro SD (un support qui sert à copier de la musique) était déposé et devait être entendu par la Commission du droit d’auteur, le gouvernement a court-circuité le processus démocratique mis en place en édictant un règlement empêchant la perception de redevances sur ce support.
Lorsqu’on sait que, aux beaux jours du régime de la copie privée, ces redevances totalisaient 50 % des sommes qu’Artisti vous distribuaient, on constate l’impact que de mauvaises décisions gouvernementales peuvent avoir sur nos revenus. Ces mauvaises décisions pourraient même avoir des répercussions sur notre tarif pour les reproductions effectuées par les radios commerciales. En effet, le gouvernement fédéral a, par la mise en vigueur du projet de loi C-11, créé une kyrielle d’exceptions aux droits des créateurs de musique et, avec l’introduction
du nouveau langage, les radios commerciales contestent désormais ce tarif.
Une entente conclu avec le MELS pour les reproductions de musique dans les écoles
Heureusement, le gouvernement provincial a, lui, choisi de ne pas tenir compte des modifications apportées à la
Loi sur le droit d’auteur et le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a, en décembre dernier, conclu une entente avec Artisti pour les reproductions de musique faites dans les écoles : une belle façon d’appuyer la création, de reconnaître la valeur du travail des créateurs.
Cela dit, cette belle initiative ne permet pas pour autant de combler les pertes découlant de l’étiolement des revenus que procuraient le régime de la copie privée et les artistes interprètes doivent donc s’assurer que le droit
à la rémunération équitable (un des droits qui demeure intouché à l’heure actuelle) reconnaisse la juste valeur
des nouvelles utilisations qui sont faites de la musique, entre autres, sur Internet.
En effet, les redevances de la rémunération équitable sont, elles, maintenues mais nous devons nous battre chaque fois qu’un tarif est présenté devant la Commission du droit d’auteur, car les utilisateurs de notre musique – tels que les radiodiffuseurs – insistent toujours pour que nos redevances soient diminuées alors que leurs revenus ne cessent de croître.
«… plus souvent qu’autrement, l’artiste interprète est laissé pour compte ou ne reçoit pratiquement rien en contrepartie de ces utilisations. »
La chose semble ironique à l’heure actuelle où la musique est de plus en plus omniprésente et consommée de mille et une manières différentes. Or, il est crucial que les tarifs rendus par la Commission du droit d’auteur reflètent la valeur de la musique dans le contexte de ces utilisations. Prenons par exemple les sites de streaming de la musique : il s’agit carrément de la nouvelle façon de consommer de la musique. En effet, le public converge massivement vers ces services qui se substituent à d’autres façons de consommer la musique. Il faudrait donc que les tarifs rendus reflètent la valeur de ces services.
L’automne dernier, Ré:Sonne (la société qui dépose les tarifs de la rémunération équitable) a d’ailleurs défendu les tarifs pour la webdiffusion. Espérons que les décisions à être rendues reconnaîtront la valeur qu’ont ces utilisations.
En attendant, il demeure que les artistes interprètes et Artisti font face à quelques défis. Ainsi, ils doivent s’ajuster à toutes les mutations de la consommation de la musique. Pensons à la prolifération des platesformes qui rendent la musique accessible (ex : des cellulaires qui donnent accès gratuitement à des plages musicales) : plus souvent qu’autrement, l’artiste interprète est laissé pour compte ou ne reçoit pratiquement rien en contrepartie de ces utilisations. Ils doivent à tout prix faire reconnaître la valeur de leur musique et des utilisations qui en sont faites.
Mais comment y parvenir ? Quelles sont les pistes de solutions qui peuvent être envisagées ?
Comme le droit d’auteur est tributaire des instances politiques, il ne faut pas perdre espoir et continuer à faire du lobby tout en se rappelant que les gouvernements peuvent se suivre sans se ressembler…
Comme je l’ai dit précédemment, nous devons être vigilants et attentifs à toutes les nouvelles manières de consommer la musique, et ce, afin de pouvoir faire valoir la valeur de la musique.
Aussi, en tant qu’artiste, nous devons prendre conscience de la valeur de notre propre travail :
le respecter afin de pouvoir en faire respecter la valeur.
Il nous faut conscientiser le public au moyen de l’éducation. À une époque où la gratuité est tenue pour acquise par beaucoup, il est essentiel que le public réalise que la musique a une valeur.
Enfin, il faut nous responsabiliser afin de nous assurer de pouvoir monnayer toutes les utilisations faites de notre musique, et ce, que ce soit par des contrats que nous signons ou par l’entremise des sociétés de gestion
collective à qui nous confions nos droits.
Voilà donc, en bref, la teneur des propos que j’ai tenu lors du Forum sur la chanson québécoise. Sauront-ils
orienter la réflexion des intervenants du milieu ? L’avenir nous le dira. Pour l’heure, le comité d’orientation qui
avait piloté l’organisation de ce Forum se réunira de nouveau pour déterminer les suites à lui donner. ///