La loi sur le droit des autres…
Au mois de juin dernier, le gouvernement Harper nous a finalement livré un autre projet de loi afin de soi-disant moderniser la Loi sur le droit d’auteur : le projet de loi C-32.
Et bien, sachez que pour les conservateurs, la modernisation du droit d’auteur consiste à donner au public les moyens d’utiliser vos créations sans rien verser en contrepartie !
Prenons, par exemple, un sujet qui nous est cher : la copie privée.
Dans ce projet de loi C-32, les conservateurs introduisent une nouvelle exception qui permet aux personnes de faire des copies à des fins privées (pas uniquement de la musique, mais de toutes sortes d’oeuvres) pour peu que la copie originale ait été obtenue de façon légale. Toutefois, contrairement à ce qui était prévu dans le régime de la copie privée, dans la mesure où les reproductions sont faites sur des supports autres que les CD vierges ou les Mini-Discs (ce qui arrivera le plus clair du temps compte tenu du fait que ces deux derniers supports sont désormais désuets), elles ne généreront absolument aucune rémunération pour les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores. Après ça, le gouvernement prétend que son projet de loi C-32 est technologiquement neutre! Mais à ce que je sache, une copie, qu’elle soit faite sur un CD vierge ou un enregistreur audionumérique, demeure une copie et les ayants droit devraient recevoir des redevances pour l’utilisation de leur travail indépendamment du support utilisé. Où est donc la neutralité technologique dans tout ceci ???
De plus, notez bien que cette approche par laquelle les consommateurs pourraient faire des reproductions pour peu que la copie originale ait été obtenue de façon légale permettra aux contrevenants d’agir en toute impunité, puisqu’aucun moyen n’est donné aux ayants droit de pouvoir vérifier si les consommateurs sont véritablement propriétaires de l’original dont ils ont tiré une copie. Comment les artistes pourraient-ils s’assurer que les consommateurs qui ont reproduit des oeuvres sur leurs iPod sont bien les légitimes propriétaires de l’original à partir duquel sont tirées les reproductions? La réponse est simple : la chose est tout bonnement impossible et le gouvernement se trouve ainsi à laisser la voie libre aux contrevenants. Les ayants droit n’auront vraisemblablement qu’à s’en remettre à la bonne conscience des consommateurs… Quand on voit la prolifération des sites de téléchargement illégaux, on ne peut pas dire que ce soit très encourageant !
Que dire des mesures de techniques de protection et des recours possibles…
Le gouvernement rétorquera que le projet de loi C-32 nous donne tous les moyens de protéger nos créations, car il nous permet d’utiliser des « mesures de techniques de protection (MTP) », telles que des serrures numériques, et des recours… La belle affaire !
Comment le gouvernement peut-il penser que, en prévoyant la possibilité pour les ayants droit de mettre en place des MTP, il leur assure le moyen de protéger efficacement leurs créations? Même les majors de l’industrie du disque ont compris qu’investir dans le développement de ces coûteuses mesures techniques est un vain exercice. À preuve, ils les ont délaissées depuis déjà quelques années.
Comment les artistes interprètes et les auteurs pourraient-ils espérer pouvoir tirer un meilleur profit de ces MTP là même où des majors ont abandonné ?
Par ailleurs, la plupart des ayants droit n’ont pas les moyens financiers d’intenter des poursuites contre ceux qui contournent les MTP pour des montants d’argent aussi dérisoires que ceux prévus au projet de loi C-32. À tous événements, poursuivre n’a jamais été un objectif pour les ayants droit et intenter des recours n’est payant pour personne.
Qu’en est-il de la responsabilisation des fournisseurs de services Internet ?
Le projet de loi C-32 aurait pu prévoir une certaine responsabilisation des fournisseurs de services Internet. Mais non ! Il propose uniquement un système « d’avis et avis » en vertu duquel les fournisseurs de services réseau ou d’outils de repérage de l’information serviraient simplement de relais en faisant parvenir une copie de l’avis de violation du droit d’auteur au contrevenant. Il va sans dire que cette façon d’opérer ne fera pas systématiquement cesser la violation et ne compensera pas les pertes financières associées à ces violations du droit d’auteur. Pourtant, dans le cadre de la consultation sur le droit d’auteur tenue à l’été 2009, certains ayants droit ont avancé une solution par laquelle les fournisseurs de services pourraient également assumer une part de responsabilité financière, à la mesure des profits qu’ils font en lien avec l’utilisation de leurs services à des fins illégales. Le gouvernement Harper semble n’avoir absolument pas accordé la moindre considération à ces nombreuses voix qui ont plaidé en faveur d’une telle solution. Le projet de loi C-32 ne l’aborde ni de près, ni de loin.
Qu’en est-il des redevances liées aux reproductions faites par les radiodiffuseurs ?
Cela dit, le gouvernement Harper ne s’est pas arrêté là. Il a poursuivi dans sa lancée et propose de supprimer un article de loi important pour ceux qui disposent d’un tarif pour les reproductions effectuées par les radiodiffuseurs. Cette proposition d’amendement pourrait résulter en l’élimination de l’obligation pour les radios de payer des redevances aux ayants droit pour les reproductions faites dans le cadre de leurs activités de radiodiffusion. Ceci priverait encore une fois les créateurs d’une de leurs sources de revenus et aurait un impact certain sur les adhérents d’Artisti qui viennent tout juste de se voir attribuer leur premier tarif de reproduction.
Je pourrais continuer l’énumération des nombreuses autres lacunes de ce projet de loi qui n’aura pratiquement aucun impact favorable pour les créateurs! Mais l’exercice est propre à décourager même les plus ardents défenseurs des droits d’auteur. Hormis quelques rares acquis pour les artistes interprètes, c’est-à-dire l’octroi d’un droit moral sur leurs prestations et celui de la brochette complète des droits exclusifs prévus aux traités internationaux (signés depuis belle lurette !) qui les mettent désormais sur un pied d’égalité avec les auteurs, ce projet de loi est un acte manqué! En effet, en jouant avec quelques lettres, le gouvernement Harper aurait aussi bien pu modifier le titre de la Loi sur le droit d’auteur pour en faire la Loi sur le droit des autres…