Dur été pour le droit d’auteur!
Nous vous aurons informés de toutes les étapes ayant mené au dénouement final qui a eu lieu le 29 juin dernier, c’est-à-dire à la sanction royale du très décrié projet de loi C-11.
En effet, c’est à la toute fin du mois de juin que la réforme du droit d’auteur s’est concrétisée, et le bilan de l’exercice n’est pas rose pour les artistes interprètes qu’Artisti représente :
Régime de la copie privée
Nous vous l’avons dit à maintes reprises, mais la chose est désormais concrétisée, la perception des redevances ne pourra pas être étendue aux baladeurs audionumériques tels que les iPod. Les seuls supports assujettis à la redevance sont désormais les CD vierges dont les ventes sont en chute libre. Mais comme si ce n’était pas suffisant, le gouvernement a décidé de court-circuiter le nouveau tarif qu’avait déposé la Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) afin que des redevances soient perçues sur les cartes mémoire MicroSD. En effet, avant même que la Commission du droit d’auteur ait pu se prononcer sur ce tarif, le ministre de l’Industrie Christian Paradis a cru bon d’annoncer, le 3 juillet dernier, en pleine succursale de Future Shop (l’on voit bien, ici, quels sont les intérêts que les conservateurs ont à cœur), que le gouvernement a l’intention de mettre en place des règlements ciblés qui excluront expressément les cartes mémoire MicroSD d’une nouvelle redevance. Celle-ci aurait permis de maintenir le régime de la copie privée sous respirateur artificiel. Mais, privée de redevances sur ces cartes mémoire et sur les iPod, il va sans dire que cette source de revenus (qui constituait, aux beaux jours du régime, 50 % des sommes distribuées par Artisti) tire à sa fin.
Néanmoins, dans un ultime élan d’optimisme, tentons de voir les aspects positifs de la réforme.
Droits économiques des artistes interprètes
Certains nouveaux droits sont octroyés aux artistes interprètes, mais, compte tenu qu’un droit d’auteur est cessible, nombre d’entre vous se trouvent peut-être à avoir déjà cédé ces droits à un producteur, par anticipation. En effet, le gouvernement n’a pas suivi notre recommandation d’incorporer des clauses transitoires à la loi afin d’empêcher que ces droits soient cédés avant même d’avoir été créés. Les clauses par lesquelles l’on vous aurait fait céder ces nouveaux droits ne seront donc pas invalidées.
Mais, quoi qu’il en soit, sachez tout de même que l’artiste bénéficie désormais des droits suivants sur sa prestation :
• Le droit de reproduire sa prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore
Ce droit a été précisé ou clarifié. Concrètement, ceci veut dire que si vous consentez à ce que votre prestation soit enregistrée (on parle de « fixée »), cela ne veut pas dire pour autant que la personne ayant procédé à l’enregistrement pourra en faire des copies. Pour ce faire, il lui faudra votre autorisation, laquelle pourra être assortie de conditions (ex : contre paiement de redevances sur la vente des copies).
• Le droit de mettre l’enregistrement sonore de votre prestation à la disposition du public et de le lui communiquer, par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement
En bref, on parle ici de votre droit de rendre l’enregistrement sonore de votre prestation disponible sur Internet. Ainsi, si une personne que vous n’avez pas autorisée à faire une telle chose rend l’enregistrement sonore de votre prestation accessible en ligne (ex : sur un site de téléchargement), il contrevient à ce droit.
• Le droit d’effectuer le transfert de propriété de l’enregistrement sonore de votre prestation, s’il s’agit d’un objet tangible
On réfère au droit que vous avez de vendre les enregistrements sonores de vos prestations ou encore au droit de distribution. Il convient de préciser qu’à compter du moment où vous avez consenti à la vente de cet objet (ex. : un CD) sur lequel se trouve l’enregistrement sonore de votre prestation, votre droit est épuisé, car le nouveau propriétaire de celui-ci pourra le revendre et, pour ce faire, il n’aura pas besoin de votre autorisation.
Droit moral des artistes interprètes
L’artiste interprète bénéficiera dorénavant d’un droit moral sur ses prestations, mais uniquement sur celles que l’on peut qualifier de « sonores ». Le droit moral comprend que l’artiste aura le droit à l’intégrité de sa prestation et le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer la création même sous pseudonyme, ainsi que le droit à l’anonymat. Pour ce qui est du droit à l’intégrité de la prestation, il faut préciser qu’il n’y aura atteinte à l’intégrité que si la prestation est, d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’artiste, déformée, mutilée ou autrement modifiée, ou qu’elle est utilisée en lien avec un produit, une cause, un service ou une institution.
Mais, là où le bât blesse, c’est que, d’une part, ce droit moral ne s’appliquera qu’aux prestations exécutées après son entrée en vigueur (c’est donc dire que vos prestations antérieures ne bénéficieront pas de cette protection) et que, d’autre part, il vous sera possible d’y renoncer, ce que certains producteurs ne manqueront pas d’exiger de vous.
Compte tenu du fait que la prestation vocale d’un artiste interprète est intimement liée à d’autres droits auxquels l’on ne peut renoncer, l’Union des artistes et Artisti avaient demandé au gouvernement de faire en sorte qu’il ne soit pas possible pour l’artiste de renoncer à son droit moral, mais cette demande ne fut, de toute évidence, guère plus prise en considération que les autres demandes des créateurs.
Voici donc, en bref, les nouveaux droits qui furent octroyés aux artistes interprètes. L’on peut dire, sans se tromper, qu’il en découlera peu de bénéfices. En effet, l’artiste vedette autorisait déjà de reproduire sa prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore aux fins d’exploitation commerciale d’un phonogramme, moyennant le versement de redevances, et ce, dans le cadre de son contrat de disque. Il autorisait la vente de CD et, plus récemment, il permettait également que de telles prestations soient rendues disponibles sur Internet sur des sites de vente en ligne.
Quel est donc le véritable gain pour les artistes ?
L’obtention du droit moral sur les prestations qui seront exécutées à l’avenir, dans la mesure où l’artiste n’y renoncera pas d’emblée.
Et dans une certaine mesure la clarification, voire la concrétisation, de droits tels que le droit de reproduction de la prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore et le droit de mise à la disposition que certains artistes (dont les artistes accompagnateurs) pourraient décider de confier à une société de gestion collective qui pourrait négocier ou faire fixer des redevances en contrepartie de ces droits.
La Cour Suprême met à mal le droit d’auteur
Le moins que l’on puisse dire est que le droit d’auteur était à la page cet été. Outre la réforme du droit d’auteur, cinq décisions de la Cour suprême se prononçaient également sur celui-ci. Or, l’un de ces dossiers était primordial pour les artistes interprètes qu’Artisti représente. Il s’agit de celui opposant Ré:Sonne à la Fédération des associations de propriétaires de cinémas du Canada, 2012 CSC 38.
Il faut tout d’abord comprendre que Ré:Sonne est une société de perception qui dépose des tarifs de rémunération équitable au nom des sociétés de gestion collective d’artistes interprètes et de producteurs, au nombre desquelles se trouve Artisti.
Or, Ré:Sonne avait déposé deux tarifs qui visaient à ce que des redevances pour la rémunération équitable soient versées par les cinémas et les télédiffuseurs pour la diffusion d’enregistrements sonores préexistants qui se trouvaient à être intégrés à un film ou une émission. Toutefois, tant la Commission du droit d’auteur que la Cour fédérale d’appel lui ont nié le droit à de tels tarifs, et Ré:Sonne en a donc appelé à la Cour suprême.
Selon ceux qui s’opposaient au tarif, la définition d’enregistrement sonore que l’on retrouve dans la Loi sur le droit d’auteur exclut la bande sonore d’une Œuvre cinématographique et aucun tarif de ce type ne pouvait donc être demandé. Toutefois, selon Ré:Sonne, lorsque des enregistrements sonores qui existaient avant même que ne soit créée la bande sonore y étaient subséquemment intégrés, la situation n’était pas la même et l’on pouvait demander un tel tarif. En bref, selon Ré:Sonne, il existe une distinction entre la bande sonore et les éléments qui la constituent, et lorsqu’un cinéma ou un télédiffuseur fait jouer un film ou une émission, ils se trouvent à diffuser les enregistrements sonores préexistants qui sont intégrés à la bande sonore, ce pour quoi une rémunération équitable est due.
Cela dit, la Cour suprême n’a pas partagé l’opinion de Ré:Sonne sur la question à savoir si la diffusion (au cinéma ou à la télévision) des enregistrements sonores préexistants intégrés à la bande sonore d’un film ou d’une émission de télévision donnait droit à la perception d’un tarif de rémunération équitable et y a répondu par la négative.
Cette réponse défavorable est fort décevante pour les artistes interprètes qui se voient traités différemment des auteurs et des compositeurs, lesquels perçoivent des redevances pour de telles utilisations de leurs œuvres par les cinémas et les télévisions. Comment justifier que les uns aient droit à des redevances alors que les autres n’y ont pas droit, et ce, pour la même utilisation de leurs créations ? Faudra-t-il demander au gouvernement de modifier la loi afin de remédier à cette iniquité? Il semble bien que ce soit la seule avenue possible, mais qu’elle soit impraticable pour l’instant compte tenu de la récente sanction royale du projet de loi C-11 qui vient tout juste de modifier la Loi sur le droit d’auteur, du délai de cinq années avant que la loi ne soit réexaminée et surtout… compte tenu du gouvernement en place…